Narrations Interactives Part 03


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Narrations Interactives Part 3

article écrit par Saeyen

Entre les mondes

 
Alors qu’en est-il de la narration interactive, dans tout ça ? Nous en avons vu une esquisse, avec les Livres dont vous êtes le héros, le classique, avec les RPG principalement… Et si on mélangeait un peu tout ce que j’ai évoqué jusqu’à maintenant ?

Parmi les fictions interactives, celles qu’on retrouve se classent bien souvent en deux “catégories”, bien que catégoriser ces œuvres soit compliqué : celles se rapprochant plus du cinéma, dits alors “Films interactifs”, ou celles penchant du côté vidéoludique de la Force, les “Jeux-vidéo narratifs”. En réalité, comme l’explique Nicolas Pelloille- Oudart, Narrative designer, dans le podcast “Un film, un jeu vidéo ou… les deux ?” c’est qu’il est difficile d’arriver à expliquer correctement ce qu’il vient de produire, de définir dans quelle case le mettre. Son objectif à travers ses créations est de bousculer les codes du cinéma et du jeu vidéo, tout en se plaçant au milieu de ces deux mondes.

 
Alors doit-on dire que c’est un jeu, au risque de décevoir les joueurs s’attendant à ce qu’ils trouvent d’habitude dans leurs bibliothèques de jeux ? Ou un film, au risque de décontenancer les spectateurs venus juste pour regarder une histoire qu’on leur raconte ? Comment définir cet entre-deux ? Comment construire des ponts entre ces univers qui semblent pourtant bien différents ?
 
Ce qui les rassemble, c’est bien la narration. Nicolas Pelloille-Oudart explique qu’il pense d’abord à ce qu’il veut raconter avant de penser aux mécaniques en elles- mêmes. Dans l’article L’incroyable richesse de la fiction interactive, Benjamin Hoguet évoque les choix que l’utilisateur sera immanquablement amené à faire lors de son expérience, et de ce que ces choix impliquent pour les créateurs.
 
Outre le fait de devoir bien écrire leur histoire, comme tous les autres auteurs et scénaristes, ils doivent penser à ces choix et leur impact. L’histoire n’est plus une, mais multiple, selon le public. Les personnages, de ce fait, peuvent être amenés à passer par bien plus d’épreuves potentielles qu’un personnage issu d’un récit linéaire. Selon les choix faits, l’un peu à la fois pleurer son chat mort dans une boîte parce que son ami a voulu copier Schrödinger et dans une autre temporalité essayer de lui reprendre le stylo dudit ami, nommé officiellement comme meilleur jouet du monde par le félin bien vivant.
 
Ainsi, chaque personnage peut être amené à emprunter une grande variété de chemin, ce qui nécessite une grande exigence au niveau de leur écriture. Il en va de même pour la structure de l’histoire, et la chronologie complète des événements. En effet, sans une très bonne définition de ces éléments, il devient très facile de tomber dans des incohérences du fait de cette multitude d’histoires parallèles.
 
Autre élément ayant un impact certain dans l’écriture : l’implication de l’utilisateur. Il a une influence sur l’histoire. Et comme on le répète souvent en informatique : “ne jamais faire confiance à l’utilisateur”. Il ne fera pas ce que vous attendez de lui. Jamais. Mettez un couloir avec une flèche rouge “c’est par ici”, et vous êtes sûr qu’il va passer par la fenêtre “pour voir”. Contrairement à une histoire linéaire, où vous avez tout contrôle, il est maintenant, si ce n’est le maître, un rouage très important de la machine que vous créez. Et, de ce fait, il doit le ressentir. Faire un embranchement lui donnant l’illusion d’un choix qui, au final, le mènera exactement au même endroit quelle que soit sa décision ne fera que créer sa frustration, voire sa haine (l’internaute est parfois violent).
 
Chaque choix présenté comme majeur doit avoir une raison d’être qui doit se ressentir. Imaginez conclure une histoire de plusieurs heures par une mort inévitable du joueur parce que, au premier chapitre, il a tourné à droite et non à gauche alors qu’il n’avait aucune indication du chemin à suivre. Si l’influence de l’utilisateur sur le récit peut faire peur d’un point de vue créatif, pour ces embranchements potentiellement monstrueux, c’est également un avantage non négligeable. En effet, plus il est impliqué dans l’histoire, plus il s’identifie à son personnage, et plus il sera sensible aux émotions que le créateur veut faire passer. S’impliquer dans un récit est un bon moyen de s’identifier au personnage, puisque ce sont nos choix qui l’ont mené où il en est.
 
Nous sommes responsables de ce qui lui arrive, en un sens. Mais la narration interactive, ce n’est pas uniquement une question de choix. Rappelez-vous, je parlais plus tôt des trois écritures d’un film. Dans l’Histoire de la narration interactive, Benjamin Hoguet explique que “une fiction interactive n’est pas toujours une œuvre dans laquelle le public transforme le récit mais peut également être une expérience où il crée lui-même sa propre représentation de l’histoire.” Faire des choix au cours de l’histoire, c’est un peu se mettre à la place du scénariste, puisque l’utilisateur change l’histoire en elle-même. 
 
Un autre type de fictions interactives nous place au niveau non plus de l’écriture mais du montage, comme dans WEI or Die. Ici, pas question de changer l’histoire : tout est déjà écrit, joué d’avance. Non, la question est plutôt posée sur le point de vue adopter. Quelle caméra doit être mise en avant à tel ou tel moment ? Quel personnage l’utilisateur a envie de suivre, quitte à manquer potentiellement quelque chose d’important vécu par un autre protagoniste. Ces films interactifs et jeux-vidéo narratifs utilisent tantôt les codes d’un monde, tantôt ceux de l’autre. De la prise de vue réelle racontant une histoire comme dans tant de film, l’utilisateur arrive dans un jeu par l’interface lui proposant le choix… Ou non.
 
Les fictions interactives cherchent à se renouveler, à toujours surprendre le spectateur. Les nouvelles technologies sont donc évidemment étudiées. Ainsi, quand certains exploitent la réalité virtuelle ou la réalité augmentée, d’autres utilisent la géolocalisation du téléphone pour s’ancrer dans l’espace. Certains privilégient le temps afin de donner la sensation de développer une relation réelle, comme les applications Karen ou Chroniric, qui se mettent en pause le temps que l’interlocuteur du joueur aille faire… ce que quelqu’un pourrait devoir faire. Dormir, manger, chercher des informations… Ils exploitent alors les notifications du téléphone des utilisateurs, comme le ferait une vraie personne, en envoyant un SMS par exemple. L’application Unmaze, de Nicolas Pelloille-Oudart, se sert quant à elle du capteur de lumière. Selon que l’utilisateur soit dans l’ombre ou dans la lumière, il interagit avec l’un des deux personnages qu’il doit aider, laissant l’autre à son sort. 
 
Alors, la narration interactive ?
 
Entre livre, film et jeu vidéo, la narration interactive est au cœur des mondes de l’imaginaire. Elle implique l’utilisateur, que ce soit par ses choix au cours de l’histoire qui en modifient le déroulé ou le point de vue qu’il a dessus, ou par sa volonté d’échanger avec le reste de la communauté d’un univers donné pour lui donner plus de profondeur. Inclassable, elle emprunte les codes d’un des mondes pour bousculer ceux de l’autre. Un objectif : aller toujours plus loin dans l’immersion de son public dans son univers, en se renouvelant sans cesse, tirant partie des nouvelles technologies. Et si, au final, nous étions tous un peu auteurs ?