Narrations Interactives Part 01


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Narrations Interactives Part 01

 

article écrit par Saeyen




Les formes de narration ont évolué en ce sens, cherchant à toujours plus impacter le lecteur, le joueur ou le spectateur. De nos jours, ce sont les formes de narrations interactives qui ont le vent en poupe. Que sont-elles ? Quelles formes prennent-elles ? Quels en sont les défis ? Laissez-moi vous raconter la narration interactive, croisée des chemins entre cinéma, jeux-vidéos et littérature.

L’Art de l’Imaginaire
Les premiers médias qui nous viennent à l’esprit lorsque l’on parle de narration ou de fiction, ce sont les livres ou le cinéma (au sens large du terme, autant les films que les séries ou dessins animés). On peut également y ajouter les jeux-vidéo, dont la narration prend une place de plus en plus importante, selon les genres évidemment. Il est intéressant de remarquer les différences de chacun de ces supports, mais également leurs ressemblances. Procédons par ordre chronologique. La littérature, 5e art selon la classification des arts, a fait son apparition à l’aube de l’humanité telle que nous la connaissons. De par son format, elle présente majoritairement une narration linéaire (nous reviendrons sur le “majoritairement” plus tard).

L’histoire est construite par l’auteur, qui la livre au lecteur telle quelle. Le lecteur n’a pas d’impact sur elle, il n’est que spectateur. Le choix des mots, très important, lui permettra -ou non- de s’attacher aux protagonistes, de dévorer chaque chapitre (au prix de ses nuits parfois), et, surtout, de ressentir les émotions et messages que l’écrivain a voulu faire passer. Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, le lecteur n’est pas complètement passif face à cette histoire qui lui est racontée. Si l’on exclut les livres pour enfants, la majorité de ces œuvres de fictions sont dénuées d’images (à l’exception de la couverture). Ainsi, le lecteur doit lui-même se constituer les visuels. Il s’imagine alors ses propres personnages en fonction des descriptions qui lui sont faites, les lieux qu’il traverse, les actions qui se déroulent… En somme, il se fait son propre film à partir des mots qu’il parcourt. De ce fait, il est plus que probable qu’il y ait autant de représentations de ces histoires qu’il y ait de lecteurs.

Il est encore possible d’augmenter ces différences entre chaque personne en changeant un petit paramètre dans ce qui précède. Un petit paramètre pas si insignifiant que ça: la linéarité du récit. En effet, bien qu’il soit impossible d’obtenir une liberté totale, offrir des choix au lecteur est faisable, et même fait depuis longtemps. C’est dans les années 1960-1970 que naissent les “gamebook”. Peut-être les connaissez-vous plutôt sous le nom de “Livres dont vous êtes le héros”. Pour celles et ceux n’ayant jamais eu l’occasion de s’essayer à cette expérience, les livres dont vous êtes le héros se présentent comme des histoires à choix, un peu comme un jeu vidéo ou un jeu de rôle.

Le lecteur crée un personnage, de façon bien plus succincte que dans un jeu de rôle (eh non, vous ne passerez pas quatre heures à personnaliser votre avatar, et encore moins une semaine à apprendre par cœur l’histoire de votre prochaine partie). Il progresse ensuite dans l’histoire, récupérant parfois des objets pouvant lui être utiles plus tard, affrontant de temps en temps des brigands ou autres monstres, ou encore récupérant un indice auprès d’un marchand croisé sur la route. Puis, l’histoire s’arrête. Pause. Il est temps de faire un choix. A gauche ou à droite ? Attaquer cet homme qui dort au bord de la route ou le réveiller pour lui demander votre chemin ? Ou peut-être même simplement continuer votre route sans lui prêter attention ? Se cacher dans la grange en ruine, ou affronter les loups ?

Chaque embranchement ainsi rencontré offre au lecteur un nombre défini de choix tout aussi définis. Et chaque choix est accompagné de la petite mention “Si tu [insérer un choix], rends-toi en [insérer un nombre]”, renvoyant le lecteur à un paragraphe donné pour poursuivre son histoire. Il ne faut ici pas avoir peur de tourner des pages, en avant puis en arrière. Ainsi, d’un simple livre au scénario unique organisé d’une façon précise par l’auteur, vous vous retrouvez avec entre les mains une histoire interactive avec plusieurs fins possibles selon vos choix. Vous n’êtes plus le spectateur semi-passif se contentant d’imaginer ce qui vous est raconté, mais un acteur de la réussite ou de l’échec de votre histoire.

En parlant d’acteur, que diriez-vous d’avancer un peu dans le temps ? Passons au 7e art, le cinéma. Une fois encore, le format induit une narration linéaire, même si on dit qu’il y a 3 écritures dans un film: celle du scénariste, celle du réalisateur, et enfin, celle du monteur. Ici, si le choix des mots reste important pour que le spectateur prenne les personnages au sérieux, la performance des acteurs et l’enchaînement des plans jouent aussi un rôle essentiel dans la capacité qu’aura le public à s’attacher aux personnages. Peut-être connaissez-vous quelqu’un dans votre entourage (ou êtes- vous vous même cette personne) qui ne supporte pas un film parce qu’il n’aime pas tel ou tel acteur ?

Contrairement aux livres, les images sont choisies par l’équipe de production, imposées au spectateur. Bien sûr, l’imagination n’est pas forcément entièrement en berne, il peut y avoir des éléments suggérés hors de l’écran, qu’il appartiendra à chacun de se représenter, ou non. Mais cette activité du public est, à mon sens, bien plus faible que pour un livre. On entend parler de films, souvent au scénario secondaire, où on pourrait “poser son cerveau à côté” pour simplement laisser les images défiler. C’est quelque chose de plus compliqué à faire en littérature, puisque le lecteur fait déjà “l’effort” de lire.

Le cinéma, moins interactif que la littérature ? En ce sens, cela semble possible. Mais c’est sans compter les interactions qu’il provoque hors du visionnage du film en lui- même. On ne compte plus les critiques du dernier blockbuster qui fleurissent sur YouTube avant, pendant et après sa sortie en salle et parler de la dernière série que vous avez vue sur votre plateforme de streaming préférée est bien souvent une bonne solution pour animer une conversation entre amis. A notre époque où lire semble de plus en plus rare, l’interaction autour du cinéma est indéniablement plus importante. Il ne s’agit alors certes pas d’interaction directe avec l’œuvre, mais d’interactions autour de celle-ci, toutes aussi intéressantes. Et qu’en est-il du petit dernier ?

Reconnus comme étant un art depuis 2006 en France, ce qui n’est plus si récent que ça désormais, les jeux-vidéo ont fait beaucoup de chemin depuis le célèbre Pong, notamment en termes de narration. Finis les tableaux qui s’enchaînent sans aucun autre lien entre eux qu’une cohérence graphique, finies les princesses sauvées par un chevalier servant. De nos jours, il n’est pas rare de faire face à des histoires complexes, qu’elles soient linéaires ou à embranchements. Par essence, les jeux-vidéo sont interactifs. Le joueur est acteur, c’est lui qui joue, comme son nom le laisse habilement suggérer (ou pas si habilement que ça). Oui, Pong est interactif. Mais qu’en est-il de la narration ? Un point essentiel à ne pas négliger dans ce cas est l’activité du joueur. De par cette implication, il peut être plus facile de le faire s’identifier au personnage qu’il incarne et, par là, de lui faire ressentir des émotions. Alors comment écrire ces histoires, où il faut prendre en compte qu’il est un des protagonistes, et non un simple spectateur ?

Nicolas Pelloille-Oudart explique dans le podcast de Nouvelles Narrations, “Un film, un jeu vidéo ou… les deux ?”, que raconter des histoires est quelque chose d’assez récent dans ce domaine. Il faut penser son récit, si ce n’est de manière interactive, de sorte que le joueur soit impliqué. Il ne sera que rarement le narrateur omniscient de l’histoire. Il ne saura que rarement ce que pensent les autres personnages. Il n’aura que rarement la vision de ce qu’ils font lorsqu’il n’est pas avec eux. Et pourtant ils évoluent aussi, en parallèle. Une difficulté supplémentaire peut s’ajouter en se rapprochant des Livres dont vous êtes le héros. Et si… le joueur pouvait changer l’histoire qui lui est racontée ? S’il n’y avait pas une sorte de main du destin qui avait tout tracé d’avance, et ce au détriment des dizaines d’heures passées dans cet univers qu’il explore ? Et s’il n’était pas obligé de suivre ce chemin unique pensé au millimètre par les créateurs de son jeu ? Et s’il ne jouait pas à un jeu, mais explorait un monde ? Et si le joueur était en fait une personne intégrée à ce monde, capable de l’influencer ? La narration ne peut alors plus être linéaire, impossible. Elle explose en dizaines, centaines, milliers d’embranchements composant chaque choix important du joueur afin de, soyons fous, le conduire à différentes fins possibles. Plus de binaire “Game over” ou “Vous avez sauvé la princesse, vous gagnez un bisou sur la joue” (oui Mario, on te voit !). Place aux 93 fins possibles dans Undertale! Oui, la moyenne tourne en réalité plutôt autour de la dizaine de fins majeures ou moins, à part quelques exceptions. 

 

Quelle est la difficulté, au niveau de la conception, d’augmenter la liberté du joueur ? Outre ces choix, toujours plus nombreux, pouvant changer parfois un tout petit élément dans l’histoire, on s’éloigne de plus en plus des tableaux des jeux de plateforme pour un monde de plus en plus ouvert… qui se devra d’être vivant. Parce que, c’est bien beau de laisser le joueur se balader où il le souhaite, si c’est pour ne rien y voir et rien y  faire  sauf  dans  le  couloir  prédéfini  par  l’histoire,  quel  intérêt  ?  Alors  comment “meubler” ? En ajoutant des PNJ (Personnage Non-Joueur) qui peuvent donner des quêtes secondaires, raconter leurs aventures, vivre leur vie… et donc posséder leur propre histoire. Ce sont bien souvent plusieurs centaines de personnages ainsi créés.   Tout ça pour que, potentiellement, le joueur ne soit jamais confronté à ces lignes de dialogues ou à ces histoires parce qu’il n’aura pas exploré ce village précis au nord- ouest de la région boisée du continent.   Ici, c’est le contraire du cinéma ou des livres “classiques”, où tout ce qui est créé et montré a son utilité : le créateur ne sait pas si le joueur va ne serait-ce qu’apercevoir ce personnage dont l’histoire lui plaît tant.  Mais c’est cette abondance de petits détails qui fait la réussite d’un univers vivant qui perdurera dans le temps et hors des frontières du jeu en lui-même… ou non.     

 

La suite dans une semaine !!